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Il est onze heures du matin et Mélinda s’éveille tout doucement. Son radio réveil n’a pas sonné, car elle a oublié de le configurer hier soir. Elle a beaucoup trop dormi. Elle sent qu’elle a mal à la tête. Elle va vite prendre un cachet avant de se remettre au lit.

Bien installée à la verticale, son gros oreiller moelleux dans le dos, elle rabat la couette sur ses jambes et son regard se perd par la fenêtre. C’est une magnifique journée. Mélinda aimerait en profiter pour aller se balader, mais elle est encore toute groggy de sa (trop) longue nuit de sommeil.

Soudain, elle se rappellera son exploit de la veille et l’angoisse lui monta. Elle s’empressa de retrouver son ordinateur, l’alluma et alla regarder si quelqu’un avait réagi à son post de la veille. Elle qui craignait tant d’être si durement jugée par ses homologues ferma un moment les yeux, le temps que la page Internet se charge. Et là, ce fut la douche froide.

Elle vit en les rouvrant une notification qui indiquait qu’un commentaire venait d’être publié en réponse à son post sur les réseaux sociaux. Elle sentit, petit à petit, des picotement apparaître aux extrémités de ses pieds qui remontèrent de plus en plus à mesure qu’elle lisait les mots de son premier hater.

Il s’appelait Florent et venait de lui écrire la plus douce réponse au monde, si tant est que l’on vive en enfer : « Va te faire enculer salle connasse ! Personne ici ne t’a demandé ton avis ! Non, mais de quoi tu te mêles ? Pour qui te prends-tu ? Tu devrais avoir honte ! Reste à ta place, c’est ce que tu as de mieux à faire ! »

Mélinda était pétrifiée. Son souffle était coupé et elle ne sentait désormais plus ses jambes. Elle venait de recevoir un véritable coup de massue. Elle sentait que ce n’était pas justifié, c’était même injuste. Elle, qui avait fait de son mieux pour bien faire et contribuer à la communauté verrait de se faire jeter dans la fange sans autre forme de procès. Elle pleura.

Mais étrangement, c’étaient des pleurs de soulagement. Cela avait beau être plus fort qu’elle, plus elle pleurait, plus elle se sentait soulagée. Un peu comme si elle était un vecteur, un message, un tuyau d’égout chargé d’évacuer la merde de l’humanité. Toute cette haine, cette colère accumulée dans l’égrégore collectif, elle la sublimait par ses pleurs. Son post avait été le déclencheur, le coup d’aiguille qui permettait au ballon de baudruche rempli d’eau de commencer à se vider sous peine d’exploser. Elle agissait à la manière d’un catalyseur qui permettait aux choses de se faire plus vite, aux humains de gagner du temps dans leur élévation spirituelle. Ce fut une expérience très mystique, mais enfin, elle comprit quel était son rôle à jouer.

C’est alors qu’elle se mit à prier en serrant très fortement ses mains l’une contre l’autre. Ses larmes s’arrêtèrent petit à petit de couler à mesure qu’elle remerciait Dieu d’avoir compris ce qu’elle était venue faire sur cette Terre. Voilà 24 ans qu’elle ne se sentait pas à sa place et qu’elle croyait qu’elle avait un « problème ». Pire, que le « problème », c’était elle. À présent, elle comprenait que le problème venait des autres et que, elle, le ressentait. Il y avait beaucoup de travail à faire, car l’humanité allait mal. L’accumulation depuis plusieurs années de souffrance au niveau individuel avait mené la plupart des personnes à la limite de l’explosion. La situation était grave, mais pas sans issue. Il y avait un plan divin là-dessous, elle en était persuadée. Mais pour le comprendre, encore fallait-il pouvoir aller au-delà des apparences…